lundi 1 juin 2009

Aujourd'hui

1er du mois, c'est l'heure de l'article commun sur le blog des Bloggeurs de Bombay. Le sujet parait assez évident au départ, mais ce fut un exercice assez difficile, au final.
"Le lieu au je n'aurais jamais pensé mettre les pieds à Bombay."

Je vous invite à lire les articles de mes chers compatriotes, sur le même thème !
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« Le lieu où je n’aurais jamais pensé mettre les pieds un jour ».

Le lieu est un facteur. L’atmosphère en est un autre.
Or le lieu dont je vais vous parler, c’est le plus touristique de Bombay : Le Gateway of India, à côté du Taj Hotel.

Qu’arrive t-il au cœur d’une petite blanchinette de française comme moi quand un lieu aussi symbolique est repris par ses habitants révoltés, blessés, offensés, empris à la plus grande tristesse ?
Que se passe t-il dans la conscience d’un Humain quand une des plus grandes métropoles d’Asie s’arrête de vivre quelques heures pour commémorer des incidents qui l’ont atteinte au plus profond de son âme ?

Vous l’aurez peut être compris, j’étais au « Rally » qui a eu lieu une semaine après les attentats du 26 Novembre. Une semaine seulement.
Je n’ai pas eu peur. J’ai seulement senti que le moment que j’allais vivre allait être d’une intensité que je ne serai jamais à même de revivre dans ma vie.
Et j’ai fait le déplacement en train. (Oui, oui, jusqu’à la gare même où on découvrit alors que j’y étais, pile-poil, 8 kilos d’explosifs).

En vivant dans ce pays, je ne me voyais pas me cacher dans mon confortable et sécuritaire petit appartement, et ne pas être témoin de ce moment, reflétant un des plus beaux symboles d’expression de la démocratie. Place n’était pas faite aux vieilles manigances politiques, seule la voix du peuple indien pouvait crier de toutes ses forces son émotion.


Je n’aurais jamais pensé voir une telle fièvre et une si puissante passion dans les yeux de tant de gens, composant la foule. Heureusement, j’ai pu me faire expliquer la plupart des gestes et des chants entonnés par Kunal.
« Ta petite face de blanche curieuse, c’est bien dans la normalité et la sécurité, mais maintenant tu la ramènes pas trop, tu restes près de moi, je ne suis pas super rassuré que tu sois là, une semaine seulement après ce qui s’est passé ».

Des milliers de personnes ont défilé ce jour-là, la rage au ventre et la tristesse dans les yeux. Certains en voulaient aux politiques, d’autres aux policiers, les uns scandant leur slogan contre le Pakistan, d’autres allumant des bougies pour leurs morts.

Les visages se confondent, les pancartes se dressent, les chants montent du fond de la rue jusqu’à moi. Je me les fais traduire au fur et à mesure. Mais un seul est resté dans ma mémoire, parce qu’il était un des seuls en anglais « Fuck Pakistan ».
Il y a quelques bousculades, des microphones qui crient dans tous les sens, des pseudo-gourous qui ouvrent des groupes de discussion spontanés, des sifflets qui retentissent lorsqu’un camion de policiers passe, des regards mélancoliques tournés vers le Taj encore noirci par la fumée.



Si ma mémoire a gardé des souvenirs, ils sont teintés sépia, la bande son est hanté par des chants scandés de toutes parts, et des milliers de visages de tout âge aux expressions diverses apparaissent dans mon film mental…qu’il m'est encore impossible de décrire plus précisément, 6 mois après. Au dessus, en dessous, sur les côtés… une foule incroyable m’a embarquée pour un voyage inoubliable dans sa liesse. Une frénésie de révolte.

Je ne sais combien j’ai fait de kilomètres ce soir là, ni combien de temps j’ai erré, portée par la foule.
Je suis rentrée dans le Nord, dans ma banlieue éloignée, je me suis étendue sur mon lit, les yeux grands ouverts. Et j’ai essayé d’analyser. Impossible.



Ce lieu, je n’aurai pensé y mettre un jour, ni les pieds, ni même l’âme, comme je l’ai fait. Ce qu’il représente pour moi, aujourd’hui, c’est peut être le jour où je suis tombée profondément amoureuse de l’Inde, parce que j’en ai vu les entrailles ensanglantées, jaillissant d’un corps de toute beauté, tiraillées par l’absurdité des intérêts insensés de quelques personnes.

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L'article du 4 Décembre, et quelques photos supplémentaires ici.
Merci à Chotu pour la seconde photo.





1 commentaire:

cricri a dit…

emouvant...et toujours aussi touchant!...ton 1er article m'avait déjà boulversé, même loin et à distance!